SALEM CHAKER SOUTIENT LE MAK, SES MILITANTS ET SON AMI FERHAT MEHENNI

TRIBUNE (SIWEL) — Salem Chaker nous livre son analyse suite à la levée de boucliers des services de sécurité algériens visant la Kabylie en s’en prenant ouvertement au Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) qu’ils tentent d’assimiler à un mouvement terroriste afin de légitimer l’usage de la violence à son encontre. Salem Chaker apporte, par la même occasion, sa plus totale solidarité aux militants du MAK et à son ami, Ferhat Mehenni. Ci-dessous, la déclaration du Professeur émérite des Universités, Salem CHAKER :

Kabylie : manipulation et diversion. Un grand classique.
Un communiqué du Ministère de la défense nationale algérien (MDN), en date du 25 avril 2021, annonce le démantèlement d’un groupe terroriste lié au mouvement autonomiste kabyle (MAK). A l’évidence cette annonce relève d’une manœuvre de diversion et de manipulation tout à fait classique de la part des autorités algériennes et de leurs services de sécurité. Depuis 1962, de manière très régulière, le pouvoir algérien a eu recours à ce genre d’opérations en Kabylie lorsqu’il se trouvait en situation difficile soit en raison de crises politiques internes liées notamment aux luttes des clans qui détiennent le pouvoir, soit lorsqu’il a été confronté à des protestations populaires de grande ampleur, ce qui est le cas actuellement.

La tactique du gouvernement, à travers ses services de sécurité, consiste dans ce type de circonstances à désigner soit un ennemi intérieur, toujours localisé en Kabylie, soit un ennemi extérieur en particulier le voisin marocain. Cette technique moult fois utilisée depuis l’indépendance permet aux autorités de créer une diversion, de désigner un ennemi autour duquel on tente de ressouder l’‟unité nationale” et de faire taire toute contestation.

Les exemples d’utilisation de cette technique sont multiples : on rappellera notamment l’affaire des poseurs de bombes (1976), l’affaire de cap Sigli (1978), les tensions et répressions fomentées en Kabylie à de très nombreuses reprises à partir de 1980, etc. La technique a d’ailleurs été utilisée en dehors de la Kabylie, on pense naturellement aux sanglants évènements d’octobre 1988. La liste serait longue, allant du démantèlement de pseudo-groupes terroristes à la répression sanglante de manifestations pacifiques ou aux assassinats ciblés.

Dans tous les cas, il s’agit pour le pouvoir algérien de reprendre la main sur une situation politique et sociale qui risque de lui échapper ou de régler sur le dos de la population des conflits internes aux clans qui détiennent le pouvoir.

L’hypothèse d’un groupe terroriste en Kabylie est une plaisanterie fumeuse. Et ceci pour plusieurs raisons fondamentales :

  • En premier lieu, depuis des décennies le mouvement berbère de Kabylie, dans toutes ses composantes, a toujours refusé le recours à la violence, affirmé son caractère pacifique et lié son combat à la revendication démocratique et aux droits de l’Homme.
  • D’autre part, tous les militants berbères de quelque obédience qu’ils soient, autonomistes ou non, et je dirai même tous les Kabyles, savent que le pouvoir algérien n’a jamais hésité et n’hésitera pas à réprimer de la manière la plus violente et sanglante toute tentative d’opposition armée ; la Kabylie en a fait la triste expérience dès 1963 et, plus récemment, avec les 130 morts du Printemps noir de 2001-2002. Elle sait à quoi s’en tenir quant aux capacités de répression du pouvoir algérien qui n’hésitera jamais à employer les moyens les plus extrêmes s’il sent que le contrôle de la situation lui échappe. Je suis convaincu, pour en avoir discuté avec tous les responsables kabyles importants, que les militants berbères ont conscience que toute tentative d’insurrection armée en Kabylie serait réprimée avec les mêmes types de moyens que Saddam Hussein a utilisés contre les Kurdes. En conséquence, l’idée d’une action armée berbériste en Kabylie ne peut relever que d’une invention pure et simple des services de sécurité algériens. Le communiqué officiel du ministère de la défense algérien doit être replacé et analysé dans ce contexte.
    En effet, il faut rappeler, en particulier pour les observateurs extérieurs et tous ceux qui se font, depuis la guerre de libération nationale, des illusions sur la réalité de l’Algérie, que le régime politique de ce pays est depuis 1962 une dictature militaire dont l’instrument d’action politique principal et permanent demeure ses services de sécurité et de renseignement. La manipulation, l’infiltration, la neutralisation et, quand il le faut, la liquidation physique ont été leurs moyens d’action permanents depuis 1962. Certes, à différents moments ce pouvoir militaire s’est offert le luxe de se donner une devanture civile. Mais il ne s’est toujours agi que d’une façon de se donner une façade présentable au niveau international. En interne, le pouvoir réel a toujours été détenu par l’armée et ses services de sécurité, qui ont toujours fait et défait les dirigeants successifs.

Pour ce qui est de la Kabylie, dès 1995 j’ai publiquement pris personnellement position en faveur de l’autonomie de la région et de toutes les régions berbérophones. Je considère en effet que dans le cadre des Etats-nations nord-africains actuels, sans un statut de très large autonomie, les Berbérophones sont condamnés à disparaître. C’est très explicitement ce qu’ont d’ailleurs programmé, dès les indépendances, les différents régimes en place en Afrique du nord, à travers leurs politiques linguistiques, culturelles et économiques. La revendication de l’autonomie par des moyens pacifiques est non seulement légitime mais la seule voie possible de survie des Berbérophones sur la longue durée. Même si je ne partage pas nécessairement toutes ses positions et n’ai jamais fait partie du MAK, je suis en accord avec son projet et apporte ma plus totale solidarité à ses militants et à mon ami Ferhat Mehenni dont on peut craindre qu’il soit désormais dans le collimateur des services algériens.

Manifestement, toute cette opération a pour seul but de liquider une opposition déterminée et bien implantée en Kabylie et, en même temps, de neutraliser, de tétaniser la puissante protestation populaire qui s’est développée depuis deux ans au niveau national.
« Le Kabyle, voilà l’ennemi, vous devez donc serrer les rangs derrière le pouvoir pour sauver la nation ! »

Je ne serai pas étonné que l’on évoque très rapidement l’intervention des services secrets israéliens, marocains ou de la CIA. En un mot, le régime algérien, ses services et leurs techniques ne se renouvellent pas.

Salem CHAKER ,
Professeur émérite des Universités (Langue berbère)
Aix-Marseille, le 27 avril 2021.

Biographie succincte de Salem CHAKER

Berbérisant d’origine kabyle, Salem Chaker est spécialiste de linguistique berbère (syntaxe, diachronie, sociolinguistique). Il a fait ses études à l’Université de Provence et à l’Université de Paris-René Descartes (doctorats soutenus en 1973 et 1978).
Après un début de carrière à la Faculté des Lettres d’Alger et au CRAPE (1973-1981), il rejoint Aix-en-Provence (Université de Provence et CNRS : 1981-1989) où il poursuit ses activités de recherche dans le cadre du laboratoire fondé et dirigé par Gabriel Camps (Université de Provence).
De 1989 à 2008, il exerce en tant que Professeur de langue berbère à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (« Langues’O ») de Paris, où il crée (1990) le Centre de Recherche Berbère qu’il a dirigé jusqu’en fin 2009 . Il est actuellement Professeur de langue berbère à l’Université d’Aix-Marseille où il est également chercheur associé à l’IREMAM.

SIWEL 271745 AVR 21

Le 23/04/1981 a été dispensé le premier cours en Tamazight à l’université centrale d’Alger avec Ferhat Mehenni, Mustapha Benkhemou et Salem Chaker (respectivement 2ème, 3ème et 4ème à partir de la gauche)
Salem Chaker, Ferhat Mehenni et Matoub Lounès