KABYLIE (SIWEL) — La révolte de 1871 menée par Mohand Amokran (El Mokrani) fut la plus importante insurrection contre la présence coloniale française en Kabylie depuis son invasion qui s’est faite de 1851 à 1857. Ainsi, plus de 250 tributs kabyles se sont soulevées à partir du 16 mars 1871, guidées par Chikh Mohand Amokran (El Mokrani), son frère Boumezrag, issus d’une famille de très haut rang : la dynastie des Beni Abbes (branche de la dynastie hafside de Vgayet), les Amokrane, maîtres depuis le xvie siècle de la citadelle de la Kalâa dans les Bibans et de la région de la Medjana, et Chikh Aheddad.
Ce jour-là, Mohand Mokrani lance six mille hommes à l’assaut de Bordj Bou Arreridj. Le 8 avril, les troupes françaises reprennent le contrôle de la plaine de la Medjana. Le même jour, Si Aziz, fils du cheikh Ahaddad, chef de la confrérie des Rahmaniya, proclame la guerre au marché des Mcisna à Seddouk. Aussitôt 150 000 Kabyles se soulèvent pour participer à ce qu’ils appellent en berbère Unfaq urrumi, la « guerre du Français ». « L’insurrection s’étendit tout le long du littoral, depuis les montagnes qui ferment à l’est la Mitidja jusqu’aux abords de Constantine. Au sud de cette dernière ville, elle se propagea dans la région accidentée du Belezma ; elle se relia aux mouvements partiels jusqu’alors localisés vers la frontière et dans le Sahara oriental », relate en 1896 Maurice Wahl, ancien inspecteur général de l’instruction publique aux colonies. Les insurgés kabyles progressent vers Alger : le 14 avril, ils prennent le village de Palestro, 60 km à l’est d’Alger, avant d’atteindre le territoire des Aïth Aïcha où ils brûlent le village colonial du Col des Béni Aïcha. Cette révolte s’est déroulée, pour rappel, dans un contexte historique très désastreux en Kabylie. En effet, entre 1866 et 1868 les hivers étaient rigoureux, une épidémie de choléra et un séisme. Plus de 10 % de la population kabyle serait décédée durant cette période. Suite à l’avancée spectaculaire de l’armée kabyle, l’autorité militaire française est obligée de renforcer son armée : l’amiral de Gueydon, nommé gouverneur général le 29 mars, en remplacement du Commissaire extraordinaire Alexis Lambert, mobilise 22 000 soldats et un dispositif militaire supérieur à celui qui avait permis d’asservir la région en 1857. Ainsi, les insurgés qui avancent de Palestro vers Alger sont arrêtés à l’Alma le 22 avril 1871 ; le 5 mai, Mohammed El Mokrani meurt au combat près de l’oued Soufflat : « dans une rencontre avec les troupes du général Saussier, il descendit de cheval et, gravissant lentement, la tête haute, l’escarpement d’un ravin balayé par notre mousqueterie, il reçut la mort, qu’aux dires des témoins de cette scène émouvante il cherchait, orgueilleux et fier comme il eut fait du triomphe », affirme le rapport du gouvernement de la défense nationale français sur ces événements.
Le 25 avril, le gouverneur général déclare l’état de siège. Les troupes françaises (vingt colonnes) marchent sur Dellys et Draâ El Mizan. Le cheikh Haddad et ses fils sont capturés le 13 juillet, après la bataille d’Icheriden. L’insurrection ne prend fin qu’après la capture de Bou-Mezrag, frère de Mokrani, le 20 janvier 1872. Au cours des opérations militaires françaises, on compte une centaine de morts chez les Européens et des pertes inconnues chez les civils autochtones. La répression pénale se traduit par l’internement de plus de 200 Kabyles et par des déportations à Cayenne et en Nouvelle-Calédonie (on parle des « Algériens du Pacifique »), peines qui ne seront amnistiés qu’en 1895. Bou-Mezrag Mokrani est condamné à la peine de mort par la cour de Constantine le 27 mars 1873. La Kabylie se voit infliger une amende de 36 millions de francs-or. 450 000 hectares de terre sont confisqués et distribués aux nouveaux colons, dont beaucoup sont des réfugiés d’Alsace-Lorraine (à la suite de l’annexion allemande).
La répression et les confiscations ont ensuite obligé de nombreux Kabyles à s’expatrier. Au point de vue militaire, on a sans doute exagéré l’importance de l’insurrection. La majeure partie de l’Algérie, pays voisin, refusa de suivre le mouvement et les Indigènes, restés fidèles à la France, prirent une part importante à la lutte contre les insurgés kabyles. Si ceux-ci totalisèrent 200 000 combattants, beaucoup n’étaient certainement pas armés de fusils et, pour l’emporter, la France ne fit intervenir dans ses colonnes que 22 000 hommes y compris les troupes régulières indigènes. Si on dénombra plus de 340 combats, du côté français on enregistra 2 686 décès dont plus de la moitié imputables aux maladies. Les pertes civiles s’élevèrent à une centaine d’hommes chez les Européens mais ne peuvent être précisées pour les Kabyles. Si les Français perdent 2686 hommes, dont plus de la moitié par maladies, le chiffre des tués Kabyles est impossible à estimer, la plus faible des évaluations étant de 2000 victimes d’exécutions sommaires.
Youva Amazigh
SIWEL 160950 MAR 21